L’Arabie Saoudite poursuit son pari : pour la deuxième année consécutive, les NEOM Beach Games s’installent dans le désert avec, au programme, une compétition internationale d’escalade. Mais derrière les promesses sportives et le cadre ultramoderne du projet Neom, la polémique gronde. Cet événement, qui prétend incarner l’avenir des sports de plein air, est pour beaucoup entaché par des questions éthiques fondamentales.
Comme l’année dernière, nous choisissons de prendre position. Pourquoi ? Parce que les récentes révélations et une lettre ouverte rédigée par des membres influents de la communauté d’escalade mondiale nous rappellent que le sport n’a de sens que s’il respecte des valeurs humaines essentielles.
Neom : la « mégaville » qui cache une sombre réalité
Portée par le prince héritier, la ville de Neom, et son projet phare « The Line », est un chantier titanesque au cœur de l’Arabie Saoudite. Cet éco-projet, censé symboliser une rupture avec l’économie pétrolière, mobilise des milliards pour construire une mégapole ultramoderne. Derrière la vision d’une ville « verte » et car-free de 170 km de long, de graves accusations émergent, et de nouvelles informations dévoilées cette année sont venues assombrir davantage cette façade déjà controversée.
Deux enquêtes de la BBC révèlent que les autorités saoudiennes auraient autorisé, voire encouragé, l’usage de la force létale contre les habitants qui résistent aux évictions. Un ex-officier saoudien a confirmé avoir reçu des ordres pour éliminer quiconque refuserait de quitter son domicile. Plusieurs villages, dont Al-Khoraybah, occupé par la tribu des Huwaitat, ont été vidés et rasés au nom de Neom. Des écoles, des hôpitaux et des maisons ont disparu sous les bulldozers, avec des habitants forcés de quitter leurs terres sans compensation adéquate, parfois même sous la menace d’arrestations et de condamnations à mort.
Cette même vision qui veut faire de Neom un projet durable et révolutionnaire, se révèle être pour certains une tragédie humaine et écologique. Plus de 6 000 personnes auraient déjà été déplacées, selon les chiffres officiels, bien que des organisations de défense des droits humains estiment ce chiffre bien plus élevé. Alors que le prince héritier décrit ces terres comme une « toile vierge », il apparaît que des milliers de personnes sont en réalité dépossédées, leurs communautés effacées au profit de cette ambition futuriste.
Lettre ouverte : la communauté d’escalade prend position
Face à cette situation, des membres influents de la communauté d’escalade (Action Collective de Transition pour nos Sommets), ont rédigé une lettre ouverte, réclamant une réaction de la Fédération internationale d’escalade sportive (IFSC). La lettre, rendue publique et appuyée par des témoignages de plus en plus nombreux, dénonce l’incompatibilité fondamentale entre les valeurs de l’escalade et les pratiques utilisées pour mener à bien le projet Neom.
Depuis la publication de cette lettre, de nouveaux éléments sont venus renforcer les revendications de la communauté. En plus de la répression brutale subie par les habitants, d’autres témoignages révèlent une dégradation irréversible de la biodiversité locale. Les effets sur les microclimats et les écosystèmes désertiques sont qualifiés d’« absurdité écologique ».
La lettre critique sévèrement l’IFSC pour son soutien silencieux et lui demande de clarifier ses positions : pourquoi promouvoir un événement qui bafoue les droits humains et l’éthique environnementale, alors que l’IFSC s’engage officiellement à « promouvoir l’escalade sportive à travers des événements durables » et à « améliorer le monde par le sport » ?
Les auteurs de la lettre expriment une demande claire : que l’IFSC prenne enfin ses responsabilités et interrompe son soutien à ces compétitions qui contreviennent aux valeurs fondamentales de l’escalade. La communauté d’escalade rappelle qu’elle attend toujours une réponse de la fédération, laquelle, au lieu d’un dialogue ouvert, semble opter pour la pression individuelle auprès des signataires. Une stratégie de silence et de répression qui s’oppose aux principes démocratiques que l’IFSC déclare défendre.
Trois Revendications Claires pour l’Avenir de l’Escalade
Créer un comité environnemental et éthique indépendant, financé et chargé d’assurer la conformité des événements de l’IFSC avec les valeurs écologiques et éthiques proclamées. Ce comité aurait la responsabilité de définir une stratégie de transition écologique, de rendre des comptes transparents sur les actions entreprises et de quantifier l’empreinte carbone et les impacts environnementaux et sociaux des événements de l’IFSC.
Rompre les partenariats nocifs sur le plan écologique et humain. La lettre demande expressément à l’IFSC de renoncer à ses partenariats avec des entreprises ayant un impact négatif documenté, comme celles du secteur des combustibles fossiles, de l’aviation ou de l’automobile. Cela inclut des entreprises actuellement partenaires telles que "Japan Airlines" et "Toyo Tires".
Lancer un programme de sensibilisation et d’éducation pour les dirigeants de l’IFSC et les acteurs clés, afin de mieux comprendre les enjeux de la crise climatique et écologique. La lettre insiste aussi sur la nécessité de sensibiliser les athlètes et les entraîneurs internationaux, pour que chacun devienne un acteur de cette transition.
Notre communauté doit être claire : l’escalade ne peut pas soutenir des projets destructeurs de l’environnement et des droits humains. En tant que grimpeurs, nous comprenons l’importance de respecter les lieux où nous évoluons, et cela va bien au-delà des falaises ou des salles d’entraînement. Participer à des événements comme ceux de Neom trahit les valeurs mêmes de notre sport et les objectifs éthiques que la fédération a elle-même proclamés.
Il est de notre devoir, en tant que passionnés et acteurs de la communauté, de rappeler l'importance de préserver l'intégrité de l’escalade. « L’urgence climatique est la voie la plus difficile que nous aurons à gravir ; relevons-la ensemble », conclut la lettre ouverte.