En salle, sur les blocs ou en falaise, écoutez les pratiquant·es autour de vous lorsqu’ils ne réussissent pas un passage : inlassablement, vous allez les entendre se lamenter de leur ”manque de force”, de ”ne pas avoir de rési”
ou encore d’avoir un ”gainage de chips”…
Malheureusement, et c’est pourquoi il est si intéressant de se pencher sur la question, nous ne pouvons pas réduire la performance (ou, si vous préférez, la réussite ou non d’un bloc ou d’une voie) à un seul et unique
paramètre. Même si cela est rassurant pour notre ego, c’est rarement le cas.
Nombreux sont celles et ceux qui ne veulent pas voir cette pléthore de paramètres, préférant se concentrer sur un
seul de ces aspects et rejetant l’importance des autres. C’est pourquoi on a vu ces dernières années un réel engouement pour l’entrainement physique en escalade ; les réseaux sociaux croulent sous les images de
Moonboard et de tractions à un bras.
De fait, nous pensons qu’en améliorant un ou plusieurs facteurs physiques, nous pouvons progresser. Même si dans une certaine mesure cela peut être vrai, cette affrmation concerne une part infme des pratiquant·e·s. Pour les autres, apprendre à se mouvoir effcacement sur le rocher semble être une méthode de progression bien plus
durable et adaptée. Être capable de faire une traction à un bras ne fera pas de vous un meilleur grimpeur, à la différence de savoir poser vos pieds correctement…
C'est pourquoi en matière de performance en escalade, le concept du "maillon faible" est particulièrement intéressant : ce dernier désigne l'idée que peu importe ce que vous travaillez, la qualité la moins développée
(technique, force, souplesse, nutrition, mental, etc.) sera toujours celle dont l'infuence sur vos performances sera la plus importante.
En imaginant la performance en escalade comme un ensemble de variables, une chaîne faite de facteurs physiques, techniques, mentaux et de "variables parallèles", on comprend bien que peu importe la résistance
propre de chacun des maillons de cette chaîne, si un seul de ces maillons est en peine, c'est l'ensemble de la chaîne (et donc de la performance) qui va en pâtir.
Pour revenir à notre sujet, certes, si vous tenez mieux les prises, il y a des chances pour que vous progressiez (sur le papier). Ce n’est pas pour autant que vous allez enchainez ces voies qui vous font rêver...
Par exemple, si vous n’êtes pas capable de vous rappeler des méthodes du crux (sauf erreur, il n’y a pas de corrélation connue entre force à doigts et capacité de mémorisation) ou d’être relâché·e dans votre escalade, cette
approche purement physique n'y changera rien. L'expérience montre qu'en la matière, mieux vaut essayer de gaspiller moins d'énergie inutilement, que d'être
"plus fort·e" ! Autrement dit, même avec des doigts forgés aux haut-fourneaux, un gainage de lutteur kazakh et une technique de grimpeuse Slovène, si vous avez peur de tomber lorsque vous grimpez, vos doigts d'acier n'aideront pas...
Ce biais est accentué par la médiatisation croissante de notre activité : à trop se focaliser sur des caractéristiques
physiques (qui sont plus facilement quantifables, et ont donc un intérêt marketing indéniable), on en vient à oublier que l’escalade est une activité où les trois composantes que sont la technique, le physique et le mental s’équilibrent parfaitement pour constituer ce que l’on nomme la « performance ».
Mais quelles sont donc ces variables qui détermineront la réussite, ou non, d'une voie ou d'un bloc ? Petit tour d'horizon d'une liste absolument pas exhaustive...
• Les facteurs psychologiques
Ils désignent le contrôle de votre pensée, de vos émotions et les activités de préparation mentale qui peuvent, directement ou indirectement, avoir une infuence sur vos capacités motrices. En étroite relation avec les capacités cognitives, impliquées dans un éventail de situations et infuençant directement les performances, vos capacités
mentales servent autant à l’analyse et à l’adaptation à une situation (lors de l’escalade à vue par exemple) qu’au contrôle de vos émotions ou à la gestion du stress…
Pour savoir si votre mental limite vos performances, vous pouvez vous poser ces simples questions :
– est-ce que je grimpe mieux, plus vite ou plus précisément en moulinette qu'en tête ? Si tel est le cas, il y a fort à parier que vous avez peur de la chute... ;
– même quand je connais parfaitement la voie et que je me sens en forme, ai-je tendance à tomber systématiquement dans le haut des voies, là où tout semble fni, après le(s) crux(s) (sans être forcément daubé·e ?) ? Vous êtes probablement tirée vers le bas par votre peur de la réussite ;
– ai-je peur d’essayer certaines voies, de grimper quand il y a du monde en falaise, devant des inconnu·e·s, etc. ? Peut-être votre ego vous confronte-t-il et vous avez peur de l'échec...
Votre motivation doit aussi être interrogée, car elle à la source de votre désir de grimper, et pourra compenser bien des lacunes physiques ou techniques. En escalade pas plus qu'ailleurs, les recettes miracles n'existent pas : une fois en falaise ou sur les blocs, cela ne va pas vous dispenser de devoir vous battre et vous investir pour faire des
croix !
Pour notre ego, il est toujours plus facile de croire que c'est notre force à doigts qui nous tire vers le bas, plutôt que notre capacité à tout donner, même lorsque nous sommes dans une situation inconfortable...
• Les habiletés techniques
C'est un prisme qui va de votre regard (votre capacité à capter et à optimiser les informations qui rendent le mouvement possible ; vous n’allez pas engager le même tonus que vous souleviez un stylo, ou un sac de sable, la préhension étant régulée conjointement à une prise d’information visuelle), en passant par vos capacités motrices (équilibre, proprioception, coordination, précision , rythme, etc.), le tout permettant de créer votre "répertoire
gestuel".
Ce dernier désigne votre capacité à résoudre le problème proposé par le rocher (ou l'ouvreur) et d'adapter votre morphologie aux prises disponibles : elles ne sont pas forcément mauvaises, elles le sont selon comment vous êtes capable de vous placer par rapport à elles.
• Les facteurs physiques
Sans surprise, ces derniers désignent différents domaines, eux-même ayant par la suite différentes ramifcations.
Votre force par exemple se déclinera en force à doigts, à bras, en résistance de force, en force de contact... etc.
Ces facteurs physiques sont bien évidemment en étroite relation avec les autres variables (techniques et
psychologiques), tous fonctionnant en une synergie commune. Pour un résultat similaire (mais un investissement
différent), vous pourriez chercher à gagner en force à doigts par exemple, ou à apprendre à respirer et à vous relâcher dans votre escalade pour diminuer la demande énergétique sur vos doigts par exemple.
Parmi les variables les moins abordées et pourtant les plus importants, retenons-en simplement deux :
– votre souplesse de cheville : si vous êtes limité·e par l'amplitude de votre dorsifexion, vous allez avoir plus de mal à descendre vos talons lors des adhérences, et donc à valoriser celles-ci. Que ce soit en dalle ou sur des volumes en salle, si vos chevilles sont raides, la demande énergétique sur vos bras sera d’autant plus forte !
– votre mobilité de hanches / bassin : si vous êtes mobile, vous allez pouvoir vous rapprocher du mur, déplacer plus facilement votre centre de gravité et ainsi évité d'être tiré en arrière par ce dernier.
• Les variables "parallèles"
Parfois négligées, souvent franchement ignorées, ces variables cruciales opèrent en dehors de votre pratique physique spécifque à l’escalade. On retrouvera sous cette catégorie le rôle vital du repos, la qualité de la peau de vos doigts, la nutrition (par exemple, un apport en protéines insuffsant ralentira la croissance musculaire, la prise de force et la réparation des tissus), les techniques d’optimisation de la récupération ainsi que diverses stratégies et tactiques. Par exemple être capable d'interpréter une prévision météo vous permettra d'essayer votre projet dans les meilleures conditions possibles.
Vous l'aurez donc bien compris, en matière de progression en escalade, il est tentant de tomber dans des raccourcis où vous allez chercher à isoler un seul paramètre, au détriment d'une multitude dont l'ensemble
constitue la performance.
Bien souvent, ce "raccourci" est dicté par des modes, des tendances et des habitudes qui vous empêchent d'analyser en profondeur ce qui vous empêche de progresser.
Combien de personnes connaissons-nous qui s'entrainent en utilisant des programmes qui ne sont pas individualisés à leurs besoins ? Vont-ils travailler leurs points faibles et progresser ou juste tracter à la salle pour « être plus fort·e » ? Il n’y a pas de méthode miracle, simplement des particularités…
💬 Bastien MINNI – aporteededoigts.com
📷 Hervé Fritz -
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