Tanguy Topin, grimpeur talentueux, partage avec GrimpActu son aventure épique dans la voie Ametsa, située à l'Abattoir près de Grenoble. Cette ligne exigeante, cotée 9a, a été le théâtre d'une performance exceptionnelle, dévoilant les defis physiques, mentales, et émotionnelles qui jalonnent une ascension de cette envergure.
La voie débute par un sévère pas de bloc estimé à 8a, imposant d'emblée une difficulté intense. La gestion des sensations dans les doigts devient cruciale, avec des prises exiguës et un froid hivernal perçant, Tanguy raconte :
C'est une voie qui débute d'entrée de jeu par un sévère pas de bloc estimé à 8a bloc. S'en suit quelques mouvements de transition vers une décontraction sur des plats fuyants qui permet surtout de récupérer des sensations dans les doigts. C’est l’une des difficulté de la voie, gérer les sensations dans les doigts en raison de la petite taille des prises associée au froid hivernal qui coupe la circulation du sang. Ensuite, il nous reste un 8c bien rési qui peut se décomposer en un 7b+ bloc sur de minuscules prises, suivi d'un mur vertical toujours très à doigts qui nous amène au dernier pas de bloc valant à mon avis environ 7b bloc ou je suis tombé quelques fois dans la rési lors des dernières séances. La fin, même si elle baisse d’intensité, reste très soutenue jusqu’au bac final et vaut environ un 8a de 5/6m de haut. Vraiment ce n’est pas gagné, il vaut mieux être un bon « résiman » pour ramper au sommet de la falaise les coudes aux oreilles. Autant dire que je me suis vu tomber dans la rési, mais le mental a tenu bon!
Il nous explique plus en détail les crux qui se trouvent tout au long de la voie :
Crux 1 - le 8a bloc : Le début de la voie concentre les difficultés les plus intenses de toute la voie. Je précise que les 3 répétiteurs de la voie, après la FA de Nico Pelorson sommes partis avec la 3ème dégaine pré clippée. Nico Pelorson avait réussi en 2016 la FA en clippant toute les dégaines, la machine ! L’un des premiers mouvements du pas de bloc a été rendu plus difficile à gérer et aléatoire (il y a deux ans), suite à la casse d'une prise déjà minuscule et il n’est pas rare de percer son index sur cette prise, c’est très frustrant. La suite du pas de bloc représente la difficulté principale, elle est plus physique dans un panneau plutôt raide avec de grands mouvements nous permettant de relier des règles correctes entres elles. On croirait faire du pan. La force de saisie (ou de contact) est déterminante car les mouvements sont très dynamiques.
Crux 2 - le 7b+ bloc : Celui-ci est presque dans du vertical, et tire sa principale difficulté (après une mise en place pas facile) de la tenue de deux minuscules cupules à arquer à deux ou 3 doigts pour finir par un grand mouvement sur une prise correcte. Trouver la bonne séquence de pieds peut s’avérer compliqué. Plusieurs méthodes existes et chaque année j’en ai trouvé une nouvelle hahah, incroyable avec juste 4 prises dans les mains.
Crux 3 – le 7b bloc : le dernier pas de bloc (qui sort du lot des autres mouvements de la voie) et peut-être celui qui m’a posé le plus de problème, d’abord intrinsèquement puis dans la rési lors des runs d’enchainement. Le passage est très court et débute par une mise en place avec un pied gauche pourri et une montée de pied droit hasardeuse qui demande pas mal de la mobilité de hanche. Une fois en place, le mouvement caractéristique est le serrage d’une toute petite « dent » qui ressort du caillou, à serrer avec 2/3 doigts pour aller loin dans un petit tri doigts difficile à viser (cela m’a couté quelques précieux essais). Cette fameuse dent a perdu quelques millimètres au fil des années, ce qui fait que je ne me suis jamais senti de mieux en mieux dans le pas . Avis aux amateurs : gare aux arracheurs de dent, merci de ne pas poser le pied dessus !!!
Tanguy entame son périple en 2019, animé par le rêve de conquérir un 9a. La voie Ametsa devient son défi personnel. Après cinq ans d'efforts de hauts et de bas, il décrit comment cette voie, exigeante en pose de pied, en doigts, et en gestuelle, a été le processus le plus enrichissant de sa carrière.
J’ai commencé à travailler cette ligne en 2019 avec mon colloc de l’époque, Léo Dechamboux. Cela faisait un moment que nous étions en quête du graal, celui de clipper le relai d’un 9a. Pour moi c’était un rêve. J’étais assez proche dans un autre 9a sur la falaise de Saint Ange, une autre falaise sur les hauteurs de Grenoble, puis les condis sont passées et la dynamique locale s’est déplacée à l’Abattoir. J’ai donc mis les doigts dans Ametsa pour être avec les copains et j’ai tout de suite adoré ! C’est une voie super exigeante en pose de pied, en doigts et en gestuelle. C’était vraiment un défi personnel de me dire qu’un jour je serais capable de serrer assez fort les prises tout en grimpant à la perfection, telle une chorégraphie millimétrée en danse, pour l’enchainer. C’est le processus le plus enrichissant qu’il m’est été donné de faire en escalade, après de nombreuses années de compet à axer plutôt mes entrainements autour du physique. Cela m’a prit environ 5 ans pour en venir à bout et je détaillerais pourquoi dans la suite des question…
La gestion des paramètres complexes, de la météo à la qualité de la peau, devient un art. Tanguy dévoile ses stratégies, jonglant avec la température des prises et planifiant des entraînements spécifiques. Mentalement, il explore l'imagerie mentale pour préparer son esprit aux défis à venir.
J’ai rapidement bien bougé dans la voie et j’ai d’abord pensé que ça allait vite marcher pour moi. Finalement je me suis rapidement rendu compte de la multitude de paramètres à gérer pour enchainer une telle voie quand on a pile poil le niveau…
D’abord, l’empilement du premier pas de bloc et de la rési qui s’en suit est difficile à maitriser tellement les efforts sont marqués (c’est l’une des caractéristiques de la voie). A certaines périodes j’avais la puissance de réussir le pas de bloc en 8a du bas mais je n’avais pas la rési de poursuivre dans le 8c final et d’autres fois j’étais bien préparé en rési, mais au détriment de mon niveau de force pour parvenir à enchainer le premier pas de bloc. C’est plutôt logique comme ressenti quand on est pile dans le niveau et que les contraintes d’une voie sont marquées par deux qualités opposées.
Ensuite pour poursuivre dans mon aveux de faiblesse hahah, il fallait que toutes les conditions soient réunies.
Des conditions maitrisables comme la qualité de la peau et le niveau d’entrainement et d’autres moins comme la météo et les températures. Pour expliquer un peu, la voie demande une d’avoir une très bonne peau. On ne peut donc pas y aller trop souvent car on se perce rapidement les doigts si on s’acharne, entrainant parfois des pauses de 3 semaines pour se refaire une pulpe solide. Le fait de grimper en salle sur des prises qui poncent la peau est aussi proscrit lorsque l’on ambitionne de mettre des vrais runs. J’ai donc planifié tous mes entrainements les lundi et mardi sur des supports de type pan (avec des mix de prises en bois et prises normales) et beaucoup de préparation physique axé sur les qualités de la voie (donc beaucoup de poutre) pour avoir le plus de peau possible le vendredi (jour où je grimpe généralement avec les copain du « Friday climbing », ils se reconnaitront).
La température est aussi une clé de la réussite. S’il fait trop chaud, aucune chance de tenir les prises les plus petites de la voie. Mais s’il fait trop froid, celles-ci coupent la circulation du sang et au passage toute sensation dans la pulpe. J’ai donc dû utiliser quelques petites stratégies comme « la pierre de feu » dans le sac à magnésie (pierre laissée proche du feu pour la faire monter en température), les pré-runs ou faux départ dans la voie pour se mettre une première fois l’onglée avant un run... Pour la pierre chaude, ça marche mais le fait de serrer la prise brulante dans les mains pendant quelques secondes augmente la contrainte de rési… Mettre la main dans la nuque c’est bien mais souvent ça graisse légèrement les mains, dans cette voie c’est un piège.
Le dernier facteur à gérer quand on travail une voie sur autant d’année c’est de gérer le mental, la frustration… J’ai déjà été tout proche de l’enchainer juste avant le premier confinement mais le Covid en a décidé autrement… Ensuite il y a eu la casse d’une prise et le sentiment que je ne pourrais plus passer le pas du bas, à trois mètres à peine du sol…
J’ai passé un hiver sans parvenir à refaire le mouvement de la prise cassée, j’ai donc essayé d’autres voies à côté, puis Takamine l’hiver dernier, qui fut au final mon premier 9a (en janvier dernier) ! Suite à cela j’avais réussi mon objectif de faire 9a et je pensais que ma motivation et mon niveau allait être au plus haut… ce fut tout l’inverse. Je n’ai plus rien fait en falaise depuis et je pense que le fait d’atteindre un rêve de gosse est parfois plus dur à gérer que le processus qui permet de l’atteindre. C’est peut être aussi le fait de se rendre compte que le jeu est dérisoire par rapport à pleins d’autres aspects de la vie…
Quoiqu’il en soit j’ai eu envie de revenir grimper dans la voie cette automne, juste pour le plaisir de grimper dans une voie qui m’est familière et je me suis surpris à prendre un plaisir fou à retrouver mes petites habitudes, à venir cette fois en vélo à la falaise, a faire des barbecue improvisés sur notre four en pierre de compète avec les amis...
Chaque journée a été un vrai bonheur et je me suis rendu compte que j’abordais les choses avec une plus grande simplicité, plus de maturité dans mon escalade, plus de patience et de petits stratagèmes et surtout moins d’exigences envers moi-même (si ça le fait, tant mieux, sinon c’est pas grave). Je savais comment être prêt pour la faire et c’est arrivé super vite, en l’espace de 5/6 séances.
Après avoir atteint le sommet, Tanguy exprime une joie intense et partage son succès avec ceux qui ont contribué à son parcours :
Mon ressenti après l’enchainement c’est beaucoup de joie, une émotion super intense et l’envie de le partager avec tout ceux qui ont fait partie du processus, ma copine d’abord qui vit de l’intérieur ce qui se passe quand je suis si proche de l’enchainement et que je vis uniquement pour faire la voie, pour réussir la chorégraphie parfaite le jour J. Je parle de chorégraphie car on est bien sur une reproduction de mouvements connus et intégrés parfaitement. Et pour le coup, merci l’ami Tristan pour notre dernière discussion qui m’a aidé à faire la voie. Il s’agissait de s’autoriser à sortir de ce schéma parfait pour pouvoir se transcender bien au-delà en laissant s’échapper les émotions. Le jour de l’enchainement tout ne s’est pas déroulé parfaitement comme je l’imaginais. Après un premier très bon run mais très couteux énergétiquement j’ai grimpé la voie sans pression et dans un pur combat, sans calculer tout ce que je faisais.
Tanguy partage une sagesse forgée dans le processus, soulignant que la richesse réside davantage dans le cheminement que dans la destination finale :
Je pense que l’on tire bien plus de richesse du processus de réalisation d’une voie que de l’atteinte du but lui-même. Faire la croix est un instant très fort émotionnellement mais relativement si court qu’il faut surtout profiter de chaque instants du processus (en particulier humainement pour ma part). Et en étant bien dans ce que l’on fait on a plus de chance d’arriver à ses fins.
En tant qu'entraîneur au pôle espoir escalade à Voiron, Tanguy jongle habilement entre passion et responsabilités. Il révèle un équilibre fièrement maintenu malgré les défis :
C’est un équilibre très dur à trouver et pour ma part j’essaye de donner autant d’importance et d’énergie à tous ses aspects. Savoir pourquoi l’on fait les choses si intensément est déjà un bon début (pour ma part, mon travail c’est aussi ma passion, puisque je suis entraineur dans un pôle espoir escalade à Voiron. Ma mission consiste à donner un max d’énergie, de passion et d’expérience dans les entrainements, pour faire progresser des p’tits jeunes qui sont tout aussi motivés que moi et qui me poussent à rester compétitif). Réussir à partager à notre entourage à quel point cela compte pour nous est parfois difficile. Je me donne donc des priorités en fonction des périodes de l’année. C’est un équilibre parfois précaire dont je suis particulièrement fier mais qui me demande quelques fois des remises en questions.
💬 : Tanguy Topin
📷 : Nico Pelorson / Damien Largeron
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