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Photo du rédacteurGrimpActu

Au cœur du Peak District : L'escalade britannique à l'état brut

On connaît trop bien l’escalade sportive, très attrayante et qui procure une satisfaction rapide. On tire (fort) sur des prises, on clippe des spits, la démarche est simple, efficace, internationale. Mais bienvenue au Peak District. Cette région, où, une activité qu’on a l’habitude de faire - monter sur des cailloux - peut être interprétée et vécue d’une manière différente, imposant plus de lenteur et une attitude moins consumériste pour une pratique beaucoup plus radicale.



 La BRCT est partie une bonne semaine en Angleterre en cette fin de septembre 2024. 

Objectif : découvrir cette nouvelle facette, cette nouvelle “culture” de l’escalade, et nous n’avons pas été déçu·e·s. Le Peak district offre une quantité impressionnante d’escalade variée allant de grottes de calcaire rappelant vaguement notre trou Magritte national, aux falaises de Gritstone (ces dernières étant la raison principale de notre venue). Le Gritstone, ou « Grit » pour les intimes, est un grès compact à gros grains qui rappelle parfois par son aspect le granit. Les falaises se présentent sous la forme de longues barres rocheuses au sommet de plateaux dégagés magnifiques. Le Grit présente plusieurs particularités. La première est que les falaises sont généralement très basses, allant de 4 à 15 mètres de haut. La deuxième est que le rocher est totalement vierge. En effet, l’éthique anglaise interdit formellement l’ajout de protections fixes. L’approche est puriste, on n’équipe et on n’aménage pas le rocher. Si on veut y grimper, on ramène sa propre sacoche de courage et de détermination, on développe ses capacités physiques et surtout mentales.


On part donc chargés comme des mules avec plein de matos comme pour une expédition d’alpinisme…sur ces blocs de quelques mètres de haut. Car il faut : cordes (à double), coinceurs, dégaines, sangles, crashpads, tout ça pour grimper 10 ou 15 mètres.


Si les fissures évidentes, et donc souvent accessibles, sont facilement protégeables, il n’en est pas de même lorsque la difficulté des lignes augmente. Moins de prises entraîne forcément moins de protections à placer, rappelant rapidement au grimpeur que le sol n’est jamais très loin. Nous avons donc le choix entre des lignes très faciles à grimper en sécurité ou des lignes beaucoup plus dures en risquant sa vie. On a bien cherché mais on à pas trouvé d’entre-deux ! Nous sommes donc souvent restés bien en dessous de notre niveau max pour éviter de prendre trop de risques, et se familiariser à cette grimpe technique et mentale. Heureusement, le pied des falaises est souvent parsemé de beaux blocs qui permettent de forcer un petit peu entre deux voies terrifiantes.

Caractéristiques d’une escalade au Peak District :

Il n’y a pas de relais - on se débrouille pour installer une moulinette avec des sangles et des coinceurs.

Pour déséquiper, il faut descendre en rappel ou grimper en second comme en grande voie.

Souvent, les longueurs relativement dures sont travaillées en moulinette jusqu’à connaissance des mouvements et des placements des protections, et ensuite seulement essayées en tête.

Il faut accepter l’engagement, et savoir qu’une chute peut avoir des conséquences.

On protège parfois le début des voies avec des crashpads. Le reste de la voie - si vous avez de la chance - il y a parfois moyen de mettre 1, 3, 5, 8, …. bons ou moins bons coinceurs, mais pas toujours là où on le voudrait.


Risque ou engagement ? 


Le gritstone est l’essence même de l’escalade au Peak. C’est un rocher unique en son genre. Le grain ultra adhérent dessine des courbes lisses sculptées par le vent. Très peu de prises franches pour s’y sécuriser avec les doigts, tout n’est qu’un grand jeu de fissure, de compression de plats et de confiance en ses adhérences. Un type d’escalade qui ne s’apprivoise qu’en grimpant ici. Pour des grimpeur.euses de calcaire, le challenge n’est pas seulement physique mais aussi mental : qui dit rocher peu prisu dit peu (voir pas) de protections. Quand le mur est lisse, il n’y a parfois pas le choix que d’avancer loin, même très loin au-dessus du point. Au Peak District, le risque de chute dangereuse ou de retour au sol fait partie du jeu et s’intègre même dans la cotation. Cela peut paraître complètement insensé aux premiers abords. Mais en s’y intéressant de plus près, cette philosophie est passionnante. En préservant le rocher de la perfo, une face reste pure et fière face au grimpeur. Elle conserve sa prestance et sa beauté, ce qui la rend d’autant plus mythique et désirable. Le rocher y regorge son mystère d’escalade, ses failles, ses passages. Seuls les plus téméraires pourront alors s’offrir leurs secrets. Mais le risque dans tout cela ? Le risque s’apprivoise, la prise de risque s’apprend. Il requiert de la patience et de l’humilité. Une moulinette devient alors une alliée. Une ascension en moulinette, une fierté. On prend le temps de décortiquer le rocher, comprendre son sens. Pendu dans la corde, les mouvements aléatoires sont répétés encore et encore. Jusqu’à ce que l’aléatoire, le risque, ne le soit plus. Le corps a intégré la chorégraphie tellement profondément que l’esprit n’a plus besoin d’être présent. À ce moment-là, l’ascension en tête (ou en solo, la différence est parfois très fine) ne paraît plus si folle que ça. Le risque s’est métamorphosé en engagement. Le corps s’élève presque seul, l’esprit à la fois ailleurs et complètement présent. Ce n’est plus qu’une danse parfaitement exécutée, un envol, une respiration. Je pense que c’est ce qu’on appelle le flow. 



La complexité des cotations


Vous l’aurez compris, nous avons découvert une éthique de grimpe bien particulière en arrivant sur le Gritstone. Aucun point, aucun relais, ici on ne laisse aucune trace de notre passage sur le rocher. Mais au-delà de cette éthique, c’est aussi une approche ainsi qu’un fonctionnement de cotation et de l'enchaînement bien différent de chez nous ! Les anglais utilisent une échelle de cotation propre à eux qu’on appelle les « E grade ». Elle est aussi complexe qu’incompréhensible, même si nous commencions à en saisir quelques subtilités au fur et à mesure du séjour.

Le « E grade » prend en compte l’expérience globale vécue lors de la réalisation de la voie. La cotation intègre autant la difficulté des mouvements que l'engagement et la dangerosité. Prenons l'exemple de la voie nommée Gaïa (la perf du séjour enchaînée par Maro), elle est cotée “E8 6C”. Le E8 détermine un mélange des difficultés physiques, techniques ainsi que du danger (sur une échelle qui va actuellement de E1 à E11). Dans ce cas-ci, il n’y avait qu’une seule possibilité de protection sur toute la voie, ce qui en fait en partie sa difficulté.


Cette cotation est toujours suivie d’un autre chiffre (dans ce cas-ci 6C), ce niveau fait référence à la difficulté physique, et elle représente le niveau du mouvement le plus dur de la voie. Cette cotation n’a de sens que si elle est combinée au « E ».

Nous avons pu remarquer au fur et à mesure des voies qu’un E3 peut être bien plus dangereux qu’un E5. Et inversement, tout dépend de la difficulté de la voie, et de bien d’autres facteurs qui sont pris en compte dans l’équation complexe du « E  grade ». Même les locaux avaient dû mal à nous expliquer la logique de ce système. C’est aussi pourquoi elle est considérée comme l’échelle de cotation la plus controversée au monde..!



Météo et gastronomie


Une semaine de trip dans le Peak District ne signifie pas seulement se faire peur en trad sur des voies bien trop courtes et bien trop aléatoires. C’est aussi le moment de profiter de tout ce qui nous semble bizarre et farfelu chez nos voisins d’outre-Manche.

Commençons par la météo. On a beau dire qu’il fait souvent moche en Belgique, c’est bien pire en Angleterre. En 8 jours sur place, 6 ont été marqués par la pluie ou a minima le brouillard. Les deux autres par le froid et le vent. Il ne faut par contre pas se décourager pour sortir grimper. En effet, il y a toujours un rocher ou l’autre qui reste sec quelles que soient les conditions. 


Le premier jour de grimpe, alors que tout semblait perdu au vu de la pluie qui ne s'était pas arrêtée de la nuit, on a décidé de tout de même aller jeter un coup d’oeil au site le plus proche du camping (conseil : ne pas aller en camping au peak district) : Raven Tor. Et là, surprise, la majorité des voies étaient sèches et nous n’étions même pas les seuls grimpeurs ! On a pu faire la rencontre de Stone, un vieux de la vieille qui grimpe dans le coin depuis plus de 50 ans et qui connaît tous les secrets du Peak District. Après une longue explication sur les orientations des faces, les températures du rocher et la direction du vent à laquelle on ne comprend pas tout, on est sûr d’une chose : on trouvera du rocher sec toute la semaine. 


Les anglais l’ont bien compris, il faut composer avec la météo et ne pas faire la fine bouche avec le temps. Et pour être honnête, il ne faut pas non plus faire la fine bouche avec certaines de leurs spécialités culinaires. En vrac, la “clotted cream”, les “scones” ou les “crumpets”, les “pies”, les “palek paneer”, la “guiness” et bien d’autres que certains auront plus ou moins appréciées.. ou pas. 



L’escalade en Grande Bretagne


Il y a aussi des falaises calcaires qui ressemblent aux belges, équipées avec des spits et des broches. Le site le plus connu est peut être Raven Tor, avec la minuscule et extrême voie Hubble de Ben Moon, le premier 8c+ au monde.

Il y a aussi différents sea cliffs, permettant parfois l’escalade de plusieurs longueurs le long des côtes, ou la maîtrise du trad est indispensable.

La pratique du bloc est courante, il y a différents sites un peu partout.

Un de personnages mythiques et historiques est Jerry Moffat, un des meilleurs grimpeurs des années ‘80 et ‘90, le premier à faire par exemple 7c+ à vue, 8a+ et 8c+ après travail, et aussi 8B bloc au Peak district avec “The Ace”.


Gaia, par Maro


Gaia, c’est la première voie (ou peut-on dire monument?) qui me vient en tête quand on mentionne le Peak District et l’escalade sur grit. Libérée en 1986 par Johnny Dawes (la légende Anglaise de l’escalade audacieuse), et cotée E8 6c, elle bénéficie quasi immédiatement d’une immense réputation. Cette tour arrondie super engagée offre très peu de protections, pour ne pas dire qu’une seule. Il ne manque pas de vidéos sur internet de personnes prenant des chutes sensationnelles en étant sauvés à 2cm du sol par leur assureur. Gaia est une ligne mythique et aujourd’hui encore, elle fait rêver de nombreux grimpeurs. Elle m'attirait particulièrement. 

En partant en Angleterre, j’étais loin de me projeter dans un tel engagement et de potentielles blessures. Et pourtant. Je souhaite partager ici mon cheminement.


Le plus important aura été d’embrasser mon dialogue intérieur : ces voix qu’on essaie souvent de bloquer, peuvent parfois être utiles, voire sages. Ca commence comme ça :

“Wow regarde cette voie comme elle est belle! Il faut absolument que je l’essaie.”

“Un enchaînement serait dingue mais est-ce que ça vaut une jambe cassée?”

Avec une voie comme celle-ci, encore plus que dans l’escalade sportive ou même le trad normal, il y a de vrais risques qui se présentent. Dans Gaia, il y a un seul placement de coinceur à 6 mètres du sol, juste avant le crux physique. Ensuite, c’est parti pour 8 mètres de dalle psycho sur plats tout en équilibre.

“Ouf, c’est dur, je ne sais pas si je veux vraiment essayer ça en tête. Il n’y a aucune réglette où prise franche a serrer.’’

“N’abandonne pas tout de suite, vas-y encore quelques fois en moulinette. Ah ça roule déjà mieux. Trois fois de plus et c’est rando! Peut-être après la dixième répétition? On verra.”


A la fin j’arrive a avoir une sensation de légèreté, je connais les mouvements tellement bien et je grimpe sans effort. A un moment donné, pendant cette après-midi ensoleillée, je savais qu’ il ne me restait plus qu’à essayer la voie en tête. On a caché le relais improvisé derrière le bord du rocher et David a mis son casque pour m’assurer (au cas où je lui tombais dessus). Dans le début facile de la voie, jusqu’au coinceur, je réfléchissais encore. Mais dès que j’ai senti la prise du crux dans mes doigts, je suis rentré dans le flow le plus intense de ma vie. Je ne pensais à rien du tout sauf au caillou sous ma peau. Je ne me suis pas rendu compte du temps qui passait ni de la corde qui disparaissait sous mes pieds. Avant de le savoir, j'étais assis au sommet du rocher.

C'était une expérience de fou que je n’oublierai jamais de ma vie et pour laquelle je veux remercier toute l'équipe. Le fait d’être là ensemble m’inspirait et me réconfortait. Ainsi les objectifs deviennent réalisables et le processus est beaucoup plus agréable. Vive la BRCT!



L’escalade est une culture


En résumé, l’escalade anglaise est un mélange bizarre et unique de bloc et de grande voie en trad, la plupart du temps accompagné par des moutons, du brouillard, un bon vent froid et/ou de la pluie.


Il est donc absolument utile d’avoir déjà pratiqué l’escalade sur coinceurs, les frites à la mayonnaise et la météo belge avant de débarquer ici !

En plus, il faut se prêter à un processus de questionnement permanent: est-ce que je me sens prêt, est-ce que j’ai vraiment envie d’engager ? Chaque membre de notre équipe a dû renoncer plusieurs fois à des montées en tête, par peur de se faire mal ou par manque de détermination. C’est un beau jeu de pouvoir inclure tout cet aspect mental et décisionnel dans notre sport. On accepte de se dire “je n’ose pas” et “tant pis pour moi”.


Au Peak, un rocher est un rocher, il n’est pas vêtu de spits. Il n’est pas modifié pour nous permettre de le grimper. C’est à nous de développer nos capacités. Gaia, ce légendaire caillou de 12 mètres en E8 6c, aurait pû n’être rien d’autre qu’une des milliers de voies spitées dans le monde, une banalité qui ne vaudrait pas le voyage. Mais sans spit, elle révèle sa beauté et son véritable intérêt : Gaia est magnifique et elle se mérite.


C’est aussi ça la variété de la pratique qui fait que l’escalade n’est pas seulement un sport mais aussi toute une culture. On ne grimpe pas de la même façon au Peak, à Bleau, au Yosemite, à Kalymnos, dans les grandes Jorasses ou à Freyr, et c’est ça la richesse de la grimpe. On y vit d’autres histoires, on y ressent d’autres émotions, on s’y perd et on s’y retrouve. 


📝 : Pablo Recourt

📷 : Emile Pino

🗞️ : GrimpActu.


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